Conduite biologique de notre vignoble à Gigondas

Depuis son arrivée en 2024, Jean-Gabriel Amadieu accompagne Claude et Éric dans la gestion du vignoble. Fort d’une solide expérience acquise en France et à l’étranger, il nous partage son quotidien sur la gestion du vignoble en viticulture biologique à GigondasEntre adaptation au changement climatique, préservation des sols et engagement pour la biodiversité, il nous fait part de sa vision pour une viticulture durable et responsable. Découvrez son interview.

Comment décrirais-tu notre vignoble de Gigondas ?

Notre vignoble de Gigondas est situé au cœur du massif des Dentelles de Montmirail et a vraiment les caractéristiques d’un vignoble de montagne de par son altitude et son exposition. On y trouve peu de terrasses mais essentiellement des coteaux. Exposés Nord/Nord-Ouest, ils oscillent entre 300 et 500m d’altitude, avec parfois de fortes pentes. Les parcelles de Romane et du Pas de l’Aigle sont parmi les plus élevées de l’appellation Gigondas.

Autre caractéristique importante à mes yeux : notre vignoble est essentiellement composé de vieilles vignes. L’histoire du domaine a débuté dans les années 50 lorsque mon arrière-grand-père, Pierre Amadieu Sr, a acheté les terres de Romane. Nos vieilles vignes ont aujourd’hui plus de 60 ans. Elles sont un gage de qualité pour nos Gigondas rouges avec leur enracinement profond et leur faible rendement. Mais, elles sont aussi plus fragiles que les jeunes plantations. Elles sont par exemple plus sensibles à la coulure et le travail mécanique du sol est plus délicat autour de ces vieux ceps.

En savoir plus : un domaine situé au Nord-Est de l’appellation Gigondas

Le vignoble de Gigondas est maintenant certifié en agriculture biologique, quels sont les grands défis ?

Nous cultivons en agriculture biologique 115 ha de vignes d’un seul tenant, entouré de 230 ha de bois. Depuis 15 ans, nous travaillons 40 ha en agriculture biologique mais ce n’est qu’en 2020 que nous avons passé le cap de convertir tout le vignoble. Nous sommes certifiés depuis la récolte 2023. Un long travail d’entretien et de restructuration du vignoble a aidé au processus. 

Notre grand défi au quotidien est lié à la superficie que nous exploitons et à la topographie des sols. Certaines parcelles sont impactées par l’âge des vignes (très faible rendement, mortalité élevée…) mais aussi par l’exploitation en coteaux (cailloux, pentes raides, érosion…) qui rend difficile le travail de chaque parcelle. Les grands enjeux sont de préserver nos sols et le potentiel de nos vieilles vignes en limitant au maximum l’érosion, et de maintenir la biodiversité à l’échelle du domaine.

vignoble gigondas vigne pierre amadieu
Le travail du sol et la biodiversité : des enjeux majeurs pour notre vignoble de Gigondas​

En quoi consiste l'entretien du vignoble au quotidien ?

A l’automne après les vendanges nous travaillons les sols pour favoriser les herbes sauvages tapissantes et pour augmenter la porosité des sols, l’infiltration de l’eau et l’aération. Nous nourrissons les sols à partir de composts naturels: marcs de la récolte précédente et engrais sous forme de granulés d’azote et de potassium issus de fumiers d’élevage. En hiver c’est l’heure de la taille ; la vigne et le sol sont au repos. Les températures froides favorisent la descente de la sève dans les racines et détruisent les foyers de maladies type mildiou et oïdium. 

Au printemps, les moutons viennent tondre nos parcelles. Ils favorisent ainsi l’entretien de l’herbe et l’amendement en fumure naturelle, tout en évitant la compaction des sols dû au passage d’un tracteur. C’est également le moment des semis d’engrais verts. Ces herbes productrices d’azote poussent un rang sur deux et permettent de relarguer l’azote utile lorsqu’on viendra plier ou couper leur tige. Nous tenons les rangs bien enherbés pour limiter l’érosion, tout en travaillant un rang sur deux afin de ne pas créer trop de concurrence à la vigne.

L’entretien des sols est un challenge quotidien pour notre vignoble à la fois pour favoriser la pénétration de l’eau mais aussi pour maitriser l’enherbement afin ne pas faire de concurrence aux vignes, tout en gardant un couvert végétal pour réduire l’érosion de nos coteaux. Avec le passage en bio, nous désherbons mécaniquement les pieds des vignes mais il faut faire attention à ne pas compacter les sols argileux. Les parcelles les plus pentues, difficiles d’accès en tracteur, ou avec beaucoup de vieilles vignes, sont faites à la main.

Depuis 2017 nous avons entrepris d’importantes phases d’arrachage pour restructurer certaines de nos parcelles en terrasse. Ces travaux permettront à l’avenir plus de facilités pour l’entretien des sols et limiteront l’érosion.

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vignoble gigondas paturage
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Une dizaine de ruches profitent sereinement du vignoble autour de Romane

Quel est l’intérêt de favoriser au maximum la biodiversité dans notre vignoble ?

Nous sommes pratiquement les seuls propriétaires de ce bel ensemble de terres du Nord-Est de l’appellation Gigondas, entourées de 230 hectares de garrigues et de chênes verts. L’entretien de la biodiversité nous permet notamment d’avoir un système plante-sol plus résilient face à la sécheresse ou aux maladies :

  • Dans les sols, la biodiversité favorise la perméabilité, l’aération, et évite la compaction pour avoir des sols plus durables. L’activité biologique aide à la minéralisation de la matière organique et des liens mycorhiziens.
  • Pour la vigne, cela favorise l’enracinement profond, l’alimentation hydrique et tous les éléments minéraux dont la plante aurait besoin. De plus cela nous aide pour la gestion de ravageurs type insectes dans la zone des racines mais aussi sur le bois et les feuilles (escargots, cicadelles, acariens, …)

Les 230 ha de bois qui entourent notre vignoble de Gigondas, sont également un réservoir de biodiversité.  Si nous maitrisons le travail de la vigne depuis plusieurs générations, côté gestion du massif forestier, nous avons trouvé pertinent d’adhérer au projet de l’ASL.

Vendanges 2015 Pas de l'Aigle Gigondas

En quoi consiste la démarche de l’ASL ? Quel rôle avons-nous pour participer à ce projet ?

Dans la continuité de notre label biologique et désireux de conserver la biodiversité locale, nous nous sommes rapprochés de l’ASL des Dentelles. Cette association a pour mission de fédérer les propriétaires privés forestiers du massif des Dentelles de Montmirail pour une gestion respectueuse de la biodiversité et du paysage de ses forêts, tout en valorisant les travaux de prévention contre les incendies. L’entretien de nos bois va de pair avec l’entretien de notre vignoble. Les bois participent au bon équilibre de l’écosystème du vallon de Romane.

Et le réchauffement climatique dans tout ça ?

Evidemment, ce n’est pas spécifique à notre vignoble. Tout le monde subit le réchauffement et nous voyons bien que la vigne a du mal à s’adapter, même dans nos terroirs frais de Romane. Les conditions arides sont de plus en plus fréquentes.

Dans ce contexte, pouvons-nous continuer à produire? C’est un des sujets de prédilection de la filière. Il existe en effet de nombreuses solutions techniques pour palier le réchauffement : conduire les vignes en taille gobelet dont la canopée protège les raisins du soleil, planter en altitude et en face nord, planter des cépages qui produisent moins d’alcool et qui seront plus résistants au stress hydrique… Sur l’AOC Gigondas nous avons déjà fait un grand pas avec l’autorisation de mettre 30% de Cinsault dans les assemblages (au lieu de 5% auparavant). Ce cépage résiste mieux aux fortes chaleurs et produit plus de jus ; ce qui diminue naturellement les degrés alcooliques dans les vins.

vignoble gigondas vignes pierre amadieu

Quelle vision as-tu à moyen et long terme pour notre vignoble ?

L’objectif à moyen terme est de conserver une production de qualité. Cela passe par le renouvellement des plantations, des investissements en matériels adaptés et la restructuration par la création de terrasses (en vue de limiter l’érosion). En bref avoir un vignoble adapté à la conduite en agriculture biologique, durable face aux contraintes du réchauffement climatique tout en continuant à produire des vins appréciés de nos clients.

A long terme, nous travaillons à conserver notre patrimoine viticole et à maintenir nos paysages de montagne empreints de forêts, de vieilles vignes, d’oliviers et de cyprès dans la continuité des travaux de mon arrière-grand-père.